Abidjan, Côte d’Ivoire — « La précieuse collection de ressources génétiques des espèces africaines de riz local (Oryza glaberrima) qui a été rassemblée péniblement et conservée pendant plusieurs années dans la banque de gènes de l’ADRAO sera irrémédiablement perdue si la crise actuelle persiste en Côte-d’Ivoire », a indiqué Dr Kanayo F. Nwanze, Directeur général de l’Association. « Environ 3000 croisements d’hybrides interspécifiques – résultat du travail mené par les sélectionneurs pendant plus d’une décennie – sont également en grand péril »; a-t-il ajouté.
Le siège de l’ADRAO basé à M’bé, près de la ville de Bouaké prise par les troupes rebelles, le 19 Septembre 2002, est actuellement en plein cœur de la bataille entre le Gouvernement ivoirien et les forces rebelles.
L’ampleur de la perte de la collection de ressources génétiques du glaberrima africain – si cela devait arriver- peut être mesurée au fait que cette collection a été la clé qui a permis la création des Nouveaux riz pour l’Afrique (NERICA) qui, aujourd’hui, constitue une source d’espoir pour des millions de populations pauvres d’Afrique sub-saharienne. Même si son rendement est faible, glaberrima est un riche réservoir de gènes utiles de résistance aux maladies et aux insectes ravageurs ainsi que de tolérance aux sols acides, à la toxicité ferreuse et à la sécheresse.
Les chercheurs de l’ADRAO ont utilisé des techniques biotechnologiques avancées pour combiner la robustesse du glaberrima africain et les rendements élevés du riz asiatique (O.Sativa) et développer les NERICA.
Les NERICA ne sont pas une graine hybride traditionnelle comme la variété IR8 de la révolution verte, ni juste une variété simple. L’ADRAO a développé des centaines de nouvelles variétés, créant de nouveaux patrimoines génétiques et augmentant la biodiversité de riz au profit du monde de la science.
Dr R Guéi, Coordonnateur du Réseau international pour l’évaluation génétique du riz en Afrique (INGER-Afrique) basé à l’ADRAO a expliqué que les ressources génétiques stockées dans la banque de gènes de l’ADRAO peuvent perdre leur viabilité en cas de rupture d’électricité dans les chambres froides. «Si cela devait arriver, nous ne serons pas en mesure de récupérer les nouvelles lignes de sélection dont nous avions planifié la duplication, cette année même », a-t-il ajouté.
Des échantillons de graines de cette collection sont régulièrement semées pour vérifier leur qualité de germination. Dr Guéi se préoccupe de la perte possible d’environ 1000 lignées glaberrima et 3000 lignées sativa semées à la station de recherche pour régénération.
« S’il s’avérait impossible pour nous de les récolter à temps (vers fin Octobre) elles seront perdues ; et les programmes de sélection riz de l’ADRAO et leurs collaborateurs seront gravement affectés », a-t-il conclu.
Les sélectionneurs de l’ADRAO ont passé des années à développer les hybrides interspécifiques, un effort qui a porté ses fruits avec la création des NERICA – Ils sont en train de cribler ces interspécifiques pour mettre au point des NERICA pour différentes écologies. Environ 3000 de ces interspécifiques les plus prometteuses sont actuellement conservées dans la chambre de culture d’anthères de l’ADRAO. « Ces interspécifiques doivent être transférées à d’autres milieux de culture avant d’être semées en serres », a expliqué Dr Y Séré, Directeur de la recherche par intérim. Il se préoccupe du fait qu’à cause de cette crise, il n’a pas été possible de faire ce travail qui s’il n’était pas réalisé durant un délai trop long signifierait une perte irréparable en terme d’effort de recherche, de temps et d’argent.
Enumérant les autres principales pertes possibles, Dr Séré a mentionné que pour le riz pluvial, 100 des meilleures lignées des croisements interspécifiques sont au dernier stade du processus expérimental. Plus de quatre années de travail seront perdues si les chercheurs n’arrivent pas à finir ces expérimentations. Pour la sélection de riz de bas-fonds également, sept années de travail sont en péril.
Dans le cadre d’un projet coopératif, les chercheurs de l’ADRAO travaillent avec les SNRAV de Côte-d’Ivoire (CNRA et ANADER) à la dissémination de variétés de riz résistantes aux virus de la panachure jaune du riz, un fléau majeur de cette culture. Dr Séré a indiqué que ce travail est actuellement complètement interrompu.
Un autre travail de recherche important en péril est l’étude de l’effet résiduel du phosphate naturel sur le sol. C’est la dernière année d’un projet de 5 ans et si les chercheurs n’arrivent pas à avoir les données de cette dernière année, tout le projet perdra sa valeur scientifique.
Le travail participatif de l’ADRAO avec les paysans a accusé un recul important en Côte-d’Ivoire. « Ceci a un effet direct sur les activités de transfert de technologies de l’ADRAO », a noté Dr T Defoer, spécialiste du transfert de technologies à l’ADRAO. En collaboration avec l’ANADER et le CNRA, l’ADRAO a formé les paysans à la production de semences dans le cadre du système communautaire de production de semences (CBSS). La crise menace la production, par les paysans formés, de 500 à 750 tonnes de semences NERICA fortement recherchées dans la sous-région.
« Heureusement, nous pouvons nous féliciter de ce qu’avec le mode d’opération en partenariat de l’ADRAO, nos activités de recherche-développement en dehors de la Côte-d’Ivoire se poursuivent normalement », a noté Dr Nwanze.
L’ADRAO abrite la coordination centrale du Réseau Ouest et Centrafricain du riz (ROCARIZ), du Consortium bas-fonds (CBF) et l’Initiative africaine sur le riz (ARI). Toutes ces structures fonctionnent sur la base de liens avec plusieurs pays de la sous-région.
«Construire des liens institutionnels prend plusieurs années », a indiqué Dr S Sanyang, Coordonnateur du ROCARIZ. Les opérations de coordination et de supervision du ROCARIZ et du CBF ont été affectées. « L’effet direct de la crise sur le CBF, c’est le départ prématuré de la coordinatrice administrative », a indiqué Dr P Kiepe, coordonnateur scientifique du Consortium.
La crise a évidemment affecté le personnel de l’ADRAO. En tant qu’institut international de recherche l’ADRAO emploie environ 30 cadres internationaux. Après une expérience éprouvante à Bouaké, ils ont été relocalisés à Abidjan. En raison de la crise, les deux écoles internationales qui sont pour beaucoup dans le choix du personnel international de venir à Bouaké, seront partiellement ou complètement fermées.
L’effet est également néfaste sur le personnel local. Environ 70 – 75 % du personnel total de l’ADRAO sont de nationalité ivoirienne. Leurs vies et la vie de leurs familles ont été totalement bouleversées.
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